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07 décembre 2010

Les Hauts-Cris (Gérard Gantet)

Pour offrir un beau roman à Noël en étant certain que le destinataire ne l'a pas lu, j'ai une idée :

Les Hauts-Cris, de Gérard Gantet, Éd. Orizon, distr. L'Harmattan.

hautscris.jpg

Il est d'une qualité rare et très original. Son narrateur, un corbeau d'une province de France, trouvant que la vie dans notre bel hexagone devient invivable à la saison de la chasse, décide de fuir et part à la découverte du monde. Individu intelligent, pragmatique, doté de la capacité de penser (voire d'écrire un roman), mais pas de parler, il ne s'exprime dans la vraie vie que par hauts cris, mais, nous, lecteurs, bénéficions de toutes ses remarques et observations.

Son voyage débute par la découverte de la Provence, puis de la Méditerranée, nous rions de ses tentatives de drague chez les mouettes, de ses inquiétudes face à l'immensité de la mer, et, enfin, de sa stupéfaction lorsqu'il découvre l'Afrique. non seulement les habitants sont noirs comme lui, mais ils s'entretuent allègrement et se désintéressent des corbeaux. Dès lors, le roman, de simplement comique, tourne au grand-guignol kafkaien, lorsque ce n'est pas carrément Ubu qui commande le pays. L'évocation, à demi-mots, des massacres de Tutsis et de Hutus est atroce mais notre narrateur traverse tout cela sans encombre, sympathisant au passage avec quelques parias qui parviennent à échapper aux massacres.

La langue de Gérard Gantet est d'une qualité rare, de nos jours. Son texte est dense, imagé, l'auteur sait ménager les moments de rire et d'émotions fortes. On ne s'ennuie jamais. Lorsqu'enfin, notre corbeau quitte l'Afrique, lassé des massacres et des épidémies, nous en aurions demandé plus. Heureusement l'auteur m'apprend que ces Hauts Cris ne seront que le premier tome d'une trilogie. Le deuxième est déjà écrit et devrait sortir prochainement. le troisième en état cet été a premier jet. Patience, donc.

Gérard Gantet avait connu un relatif succès d'écrivain dans les années 80, en gagnant un concours organisé par Belfond en 1986. Son tout premier roman, Mort et transfiguration pour la jeune fille étrangère était déjà excellent, mais l'auteur n'avait pas donné suite à ce premier succès. Ce nouveau roman gagne vraiment à être connu. N'hésitez pas, Gérard Gantet est un grand écrivain.

http://www.m-e-l.fr/Gérard%20Gantet,602

27 novembre 2010

La Carte et le Territoire (Michel Houellebecq).

Je suis un admirateur de Houellebecq depuis presque la première heure, au moins pour ses romans. Comme tout le monde, j'ai lu La Carte et le Territoire, le nouveau Houellebecq. J'ai donc, forcément, lu La Carte et le territoire avec un a priori plus que favorable.

J'ai dit ici, en 2005, ce que je pensais de Michel Houellebecq. Je n'ai pas changé d'avis.

Donc j'avais acheté "La Carte et le territoire" dès sa sortie en août, me promettant quelques heures de ecture parfaitement à mon goût et… j'ai égaré le livre. Ayant entre-temps lu le magnifique L'origine de la violence, de Fabrice Humbert, et quelques trucs moins intéressants, j'ai un peu oublié le Houellebecq. Évidemment, je suis moins curieux aujourd'hui de Houllebecq que je ne l'étais au début du siècle, à la sortie de Plateforme. Entre-temps, ce roman a obtenu le prix Goncourt, que son auteur espérait pour le précédent, un pavé austère et sérieux. Mais le Goncourt 2005 restera dans les souvenirs comme un raté notoire digne de la réputation de ce prix passablement bidonné.

Puisque La Carte et le territoire a obtenu le Goncourt, la presse et le web ont beaucoup parlé du livre et de son auteur qui, m'a-t-il semblé, a, cette année, abandonné le registre sérieux pour celui du foutage de gueule tous azimuts, la meilleure étant la déclaration sur l'honnêteté du président Sarkozy. Bon signe. Il s'inscrirait alors dans le sillage de Picasso qui se moquait du monde avec art, Picasso que Houellebecq conchie facilement lorsque l'occasion lui en est donnée (je devais le lire, une fois encore, dans La Carte et le territoire, justement). Houellebecq se serait assagi, ai-je aussi lu dans la presse (qui, on le sait, raconte n'importe quoi, se recopie elle-même et ne vérifie rien). Certes. Mais était-il agité ? Pas tellement.

Au premier degré, La Carte et le territoire est un roman tout simple, qui décrit la carrière d'un artiste dans la deuxième décennie du XXIe siècle, en France. C'est un petit roman dans l'air du temps, plein de name-dropping et de clins d'œil téléphonés, qui utilise des personnages médiatiques connus, on n'a donc aucun effort à faire pour le lire et, en effet, cela va tout seul, en trois jours sans forcer, emballez, c'est pesé. Cela se lit, comme on dit, comme un polar. Le héros est tourmenté, il rencontre la plus belle femme du monde, il a du succès, connaît un peu de malheur ("Chagrin d'amour dure toute la vie") et vieillit tranquillement. Franchement, je ne me suis pas ennuyé. Pas de longueurs, pas de descriptions pseudo-poétiques, peu de dialogues, Houellebecq raconte une histoire, on suit, tout va bien. Il y a même un beau coup de théâtre au début de la troisième partie.

Au deuxième degré, c'est à mon goût du grand art car, là, oui, Houellebecq se moque du monde, de tout le monde, et sans mégoter sur les moyens : D'abord le name-dropping, dont il use et abuse d'une manière assez comique, en se permettant souvent de donner en plus la fiche technique des produits nommés. Un vrai petit musée des Arts-et-métiers. Puis les personnages réels, dont on a lu dans la presse qu'ils ne correspondaient pas à la réalité : comprenons, le Frédéric Beigbeder du roman ne ressemble pas au vrai. Comme nous ne connaissons pas le vrai, c'est sans importance, mais le savoir ajoute encore au plaisir de se laisser prendre par l'illusion romanesque.

La Carte et le territoire est donc le récit de la carrière et, accessoirement, de la vie d'un artiste, lequel a quelques idées originales et connaît un grand succès. Houellebecq parvient à faire croire à ces idées qui, m'ont semble-t-il, pourraient bien être exploitées par un peintre ou un photographe, ce sont des partis artistiques très cohérents. Il ne décrit rien, mais raconte, ce qui est, sauf erreur, l'essence du roman.

La grande originalité est qu'Houellebecq s'utilise lui-même comme second rôle, pas le Houellebecq réel, bien sûr, juste un personnage qui ressemble au Houellebecq médiatique, ce personnage cnstruit de toutes pièces par Michel Thomas, jeune agronome n'ayant qu'une ambition, celle de réussir dans la carrière littéraire et non à ce que l'on sait du vrai Houellebecq. Le personnage Houellebecq du roman constitue même un exercice d'auto-dénigrement assez époustouflant, tant il est médiocre et malsain. Se mettant en scène dans une fiction totalement fantaisiste, il ridiculise d'un coup deux décennies d'autofiction narcissique (la manière Camille Laurens ou Christine Angot) et, comme on dit, c'est drôle et bon. Pire que tout (et mon but n'étant pas de ménager la surprise à ceux qui voudraient un jour lire ce roman, arrêtez ici si vous craignez le spoiler car je vais mentionner le coup de théâtre qui relance l'action vers la page deux cents), le plus drôle, c'est qu'Houellebecq assassine Houellebecq aux deux-tiers du roman. Il avait tué sa mère dans Les Particules élémentaires, son père dans Plateforme, le voici qui s'assassine lui-même, de la manière la plus dégoûtante possible. Suit un roman policier raté très réussi dont le but n'est absolument pas de nous intriguer sur l'identité de l'assassin, mais de retrouver la manière houellebecquienne d'origine (l'auteur étant mort ;-))) de satire dépressive, façon Extension ou Particules. Reviennent les thèmes favoris de l'auteur : solitude, vieillissement, indifférence au temps qui passe, nostalgie du c'était mieux avant, etc.). Comme des chocolats amers au digestif. On n'a plus faim, mais c'est agréable.

Ceci me permet de mentionner le dernier point très positif du roman : la satire permanente. Tout est sujet à moqueries en demi-teintes, personnages, situations, actions, entiments, tout. On retrouve à chaque page cette jubilation du foutage de gueule permanent. Ainsi la promotion du roman était-elle en accord avec son contenu (comme la promotion très compassée de L'a Possibilité d'une île correspondait au ton très Fig-Mag du roman).

Certes La Carte et le territoire n'a pas la puissance austère du précédent, la violence quasi pamphlétaire de Plateforme, le désespoir aigu d'Extension, la déprime chronique des Particules, c'est, surtout, un roman comique et cruel. En ce sens, il est très réussi.

On a beaucoup reproché à Houellebecq de manquer de style. Je trouve qu'il écrit fade et plat, comme l'est l'éclairage au néon dans les open-spaces d'aujourd'hui. Si ce n'est pas particulièrement sensible ici, c'est que le sujet sans doute s'y prête moins. La Carte et le territoire est un roman du monde de l'art et Houellebecq l'écrivain en reste en retrait, décrivant les événements sans prendre parti. Peu de choses à dire sur le style, en effet. Mais l'absence d'effets de style est une qualité, dans la culture française. De ce point de vue, Houellebecq s'affirme comme un auteur très français. Après le Goncourt, je gage qu'il vise désormais l'Académie via Le Figaro.

Discussion, chez Wrath, à propose du dernier Houellebecq :

27 juin 2010

Auteur auteur imposteur (Christian Grenier)

Amusant roman satirique trouvé au hasard des étalages de vieilleries.

C'est l'histoire d'un écrivain amateur, qui se fait publier à compte d'auteur, puis, un jour, au hasard de la vie, devient auteur à succès. Mais pour cela, il se fait passer pour un peau-rouge, un Indien d'Amérique, et tremble à chaque instant qu'on ne découvre, par son ancien premier roman, qui il est en vérité.

Sa vie prend une tournure rocambolesque. Avec son ami Bernard, il récupère un à un tous les exemplaires, jusqu'au dernier, du roman de jeunesse. C'est assez drôle, mais, un jour, les femmes s'en mêlent : une vraie Indienne d'Amérique débarque poursuivie par une CIA de dessin animé, et la compagne de notre auteur narrateur intervient… C'est le bazar.

Tout ceci est raconté à la première personne, sur un tempo échevelé, sans grand souci de style littéraire, et c'est mieux ainsi. On est dans le ton de la narration à petits effets : le suspens est léger, les situations amusantes, et le roman éclaire un peu le monde de l'édition.

Une bonne lecture. Ne pas se laisser impressionner par la quat' de couv', un peu pédante.

Christian Grenier. Auteur auteur imposteur. Denoël, 1990

22 juin 2010

Baisers maudits (Éric Halphen)

Eric Halphen. Baisers maudits

Le juge Halphen a fait l'actualité, il y a quelques années lorsqu'il poursuivait les édiles franciliens pour des affaires de corruption dans les offices d'HLM.

Je suis tombé sur son roman Baisers maudits à un euro, chez Boulinier. Autant dire tout de suite que j'ai trouvé le titre du roman nul… mais, tout de même, en le supposant au second degré… Mais ce n'est pas la question. Le contraste entre le nom d'un juge assez connu et d'un titre à la Harlequin a attiré mon attention. J'ouvre ce blog par la recension de ce roman qui est le dernier que j'ai terminé de lire. En quelque sorte, c'est un billet numéro zéro, un coup d'essai.

J'ai acheté (à un euro, moins que le prix d'un café, le risque était faible). Un juge qui écrit, c'est quelqu'un comme moi, un auteur amateur. J'aime les auteurs amateurs, ils sont mes frères.

Le roman est bien meilleur que son titre, quoique le titre, une fois le roman lu, convienne assez bien. L'auteur se moque de son héros d'un bout à l'autre. Écrire un roman dont le personnage principal est grotesque n'est pas facile et Éric Halphen y parvient assez bien. L'auteur n'est pas un littéraire. Il fait de ce manque une qualité. le récit est direct, comme raconté à une table (on se souvient que Manon Lescaut aussi est un roman raconté), pas d'effets, juste du récit. Le lecteur est souvent directement interpellé.

L'argument est simplissime : un juge de province tombe amoureux d'une de ses prévenues. Cette aventure sans espoir lui pourrira la vie. Sans effets de pathos, l'affaire est intrigante et j'ai lu tout cela d'une traite. La femme n'est même pas vraiment jolie, juste inaccessible. Le juge est assez tristounet. Ils ont la carrure d'un couple de légende. C'est un drame romantique, pur jus. Le destin sépare les amants. Elle n'est pas claire, lui se trouve prisonnier des conventions bourgeoises. Le tout constitue un délicieux mélodrame. Elle, Elvire (comme la femme de Don Juan), est fascinante. On voudrait y voir Sharon Stone (dans Dernière danse), mais l'auteur ne nous en laisse pas le loisir. Description qui paraît authentique du milieu judiciaire (l'auteur étant juge, je suis tenté de le croire sur parole !)

J'aime l'écriture dégraissée : chez Halphen, je suis comblé : pas un mot de trop, jamais. La relecture à la hache fut efficace. Un seul défaut à mon goût : trop d'adresses au lecteur, au début c'est amusant, cela lasse ensuite, mais ce n'est pas grave. Un joli roman de vacances.

Éric Halphen. Baisers maudits. Buchet-Chastel. 2006.

Wikipédia / Chez l'éditeur / Chez Passion du Livre