Je suis un admirateur de Houellebecq depuis presque la première heure, au moins pour ses romans. Comme tout le monde, j'ai lu La Carte et le Territoire, le nouveau Houellebecq. J'ai donc, forcément, lu La Carte et le territoire avec un a priori plus que favorable.

J'ai dit ici, en 2005, ce que je pensais de Michel Houellebecq. Je n'ai pas changé d'avis.

Donc j'avais acheté "La Carte et le territoire" dès sa sortie en août, me promettant quelques heures de ecture parfaitement à mon goût et… j'ai égaré le livre. Ayant entre-temps lu le magnifique L'origine de la violence, de Fabrice Humbert, et quelques trucs moins intéressants, j'ai un peu oublié le Houellebecq. Évidemment, je suis moins curieux aujourd'hui de Houllebecq que je ne l'étais au début du siècle, à la sortie de Plateforme. Entre-temps, ce roman a obtenu le prix Goncourt, que son auteur espérait pour le précédent, un pavé austère et sérieux. Mais le Goncourt 2005 restera dans les souvenirs comme un raté notoire digne de la réputation de ce prix passablement bidonné.

Puisque La Carte et le territoire a obtenu le Goncourt, la presse et le web ont beaucoup parlé du livre et de son auteur qui, m'a-t-il semblé, a, cette année, abandonné le registre sérieux pour celui du foutage de gueule tous azimuts, la meilleure étant la déclaration sur l'honnêteté du président Sarkozy. Bon signe. Il s'inscrirait alors dans le sillage de Picasso qui se moquait du monde avec art, Picasso que Houellebecq conchie facilement lorsque l'occasion lui en est donnée (je devais le lire, une fois encore, dans La Carte et le territoire, justement). Houellebecq se serait assagi, ai-je aussi lu dans la presse (qui, on le sait, raconte n'importe quoi, se recopie elle-même et ne vérifie rien). Certes. Mais était-il agité ? Pas tellement.

Au premier degré, La Carte et le territoire est un roman tout simple, qui décrit la carrière d'un artiste dans la deuxième décennie du XXIe siècle, en France. C'est un petit roman dans l'air du temps, plein de name-dropping et de clins d'œil téléphonés, qui utilise des personnages médiatiques connus, on n'a donc aucun effort à faire pour le lire et, en effet, cela va tout seul, en trois jours sans forcer, emballez, c'est pesé. Cela se lit, comme on dit, comme un polar. Le héros est tourmenté, il rencontre la plus belle femme du monde, il a du succès, connaît un peu de malheur ("Chagrin d'amour dure toute la vie") et vieillit tranquillement. Franchement, je ne me suis pas ennuyé. Pas de longueurs, pas de descriptions pseudo-poétiques, peu de dialogues, Houellebecq raconte une histoire, on suit, tout va bien. Il y a même un beau coup de théâtre au début de la troisième partie.

Au deuxième degré, c'est à mon goût du grand art car, là, oui, Houellebecq se moque du monde, de tout le monde, et sans mégoter sur les moyens : D'abord le name-dropping, dont il use et abuse d'une manière assez comique, en se permettant souvent de donner en plus la fiche technique des produits nommés. Un vrai petit musée des Arts-et-métiers. Puis les personnages réels, dont on a lu dans la presse qu'ils ne correspondaient pas à la réalité : comprenons, le Frédéric Beigbeder du roman ne ressemble pas au vrai. Comme nous ne connaissons pas le vrai, c'est sans importance, mais le savoir ajoute encore au plaisir de se laisser prendre par l'illusion romanesque.

La Carte et le territoire est donc le récit de la carrière et, accessoirement, de la vie d'un artiste, lequel a quelques idées originales et connaît un grand succès. Houellebecq parvient à faire croire à ces idées qui, m'ont semble-t-il, pourraient bien être exploitées par un peintre ou un photographe, ce sont des partis artistiques très cohérents. Il ne décrit rien, mais raconte, ce qui est, sauf erreur, l'essence du roman.

La grande originalité est qu'Houellebecq s'utilise lui-même comme second rôle, pas le Houellebecq réel, bien sûr, juste un personnage qui ressemble au Houellebecq médiatique, ce personnage cnstruit de toutes pièces par Michel Thomas, jeune agronome n'ayant qu'une ambition, celle de réussir dans la carrière littéraire et non à ce que l'on sait du vrai Houellebecq. Le personnage Houellebecq du roman constitue même un exercice d'auto-dénigrement assez époustouflant, tant il est médiocre et malsain. Se mettant en scène dans une fiction totalement fantaisiste, il ridiculise d'un coup deux décennies d'autofiction narcissique (la manière Camille Laurens ou Christine Angot) et, comme on dit, c'est drôle et bon. Pire que tout (et mon but n'étant pas de ménager la surprise à ceux qui voudraient un jour lire ce roman, arrêtez ici si vous craignez le spoiler car je vais mentionner le coup de théâtre qui relance l'action vers la page deux cents), le plus drôle, c'est qu'Houellebecq assassine Houellebecq aux deux-tiers du roman. Il avait tué sa mère dans Les Particules élémentaires, son père dans Plateforme, le voici qui s'assassine lui-même, de la manière la plus dégoûtante possible. Suit un roman policier raté très réussi dont le but n'est absolument pas de nous intriguer sur l'identité de l'assassin, mais de retrouver la manière houellebecquienne d'origine (l'auteur étant mort ;-))) de satire dépressive, façon Extension ou Particules. Reviennent les thèmes favoris de l'auteur : solitude, vieillissement, indifférence au temps qui passe, nostalgie du c'était mieux avant, etc.). Comme des chocolats amers au digestif. On n'a plus faim, mais c'est agréable.

Ceci me permet de mentionner le dernier point très positif du roman : la satire permanente. Tout est sujet à moqueries en demi-teintes, personnages, situations, actions, entiments, tout. On retrouve à chaque page cette jubilation du foutage de gueule permanent. Ainsi la promotion du roman était-elle en accord avec son contenu (comme la promotion très compassée de L'a Possibilité d'une île correspondait au ton très Fig-Mag du roman).

Certes La Carte et le territoire n'a pas la puissance austère du précédent, la violence quasi pamphlétaire de Plateforme, le désespoir aigu d'Extension, la déprime chronique des Particules, c'est, surtout, un roman comique et cruel. En ce sens, il est très réussi.

On a beaucoup reproché à Houellebecq de manquer de style. Je trouve qu'il écrit fade et plat, comme l'est l'éclairage au néon dans les open-spaces d'aujourd'hui. Si ce n'est pas particulièrement sensible ici, c'est que le sujet sans doute s'y prête moins. La Carte et le territoire est un roman du monde de l'art et Houellebecq l'écrivain en reste en retrait, décrivant les événements sans prendre parti. Peu de choses à dire sur le style, en effet. Mais l'absence d'effets de style est une qualité, dans la culture française. De ce point de vue, Houellebecq s'affirme comme un auteur très français. Après le Goncourt, je gage qu'il vise désormais l'Académie via Le Figaro.

Discussion, chez Wrath, à propose du dernier Houellebecq :